Il y a quelque chose de fascinant dans la manière dont certains groupes parlementaires s’acharnent à légiférer non pour résoudre des problèmes, mais pour les incarner. La niche parlementaire du forcené des Républicains en est un exemple chimiquement pur. Trois propositions de loi, trois coups de matraque symbolique, et une ligne politique : la stigmatisation organisée d’un groupe à l’Assemblée qui a pactisé avec l’extrême droite.
L’exemplarité comme spectacle : instaurer des peines planchers
La première proposition de loi entend instaurer des peines planchers pour les infractions commises contre les membres des forces de l’ordre et les pompiers. Elle propose, très concrètement, qu’un délit puni de cinq ans ne puisse donner lieu à une peine inférieure à trois, sauf décision spécialement motivée. Elle prévoit également l’abrogation de l’article du code de procédure pénale qui impose aujourd’hui aux juridictions de n’emprisonner qu’en dernier recours.
Ce texte, déjà en lui-même discutable, s’inscrit dans une campagne pénale qui a vu, successivement, Horizon (mars 2023), le Rassemblement national (octobre 2024) et désormais l’Union des droites, reprendre à la chaîne les vieilles rengaines sécuritaires inefficaces. À croire que la justice, pour ces gens-là, ne vise plus à rétablir un ordre juste, mais à produire un effet médiatique.
Le procédé est rodé. On ouvre l’exposé des motifs par des chiffres : +72 % de violences sur personnes dépositaires de l’autorité depuis 2000. On ajoute une dose de récupération politique d’un drame : le décès tragique de l’adjudant Comyn à Mougins. Puis, dans la foulée, on dégaine la solution miracle, comme sortie d’un mauvais édito de plateau télé : des peines plus lourdes, plus automatiques, plus exemplaires. On juge moins, on punit plus.
Mais ce discours est fallacieux. Car si l’augmentation des violences est réelle, le lien de causalité entre cette hausse et un prétendu laxisme judiciaire est quant à lui inexistant. Cela ne relève que du café du commerce. Aucun lien scientifique n’existe entre la durée des peines et la récidive. Toutes les études le disent : ce qui réduit la récidive, c’est l’individualisation de la peine puis l’accompagnement vers la réinsertion. La loi Taubira de 2014 n’a pas supprimé les peines planchers par angélisme, mais par lucidité.
Alors pourquoi ce retour ? Parce qu’Éric Ciotti ne croit pas en la justice mais en l’exemplarité comme spectacle. Elle méprise les juges, les études, les faits. Elle préfère les slogans aux politiques publiques. Mais leur cynisme ne s’arrête pas là – si seulement.
Alors pourquoi ce retour ? Parce qu’Éric Ciotti ne croit pas en la justice mais en l’exemplarité comme spectacle. Elle méprise les juges, les études, les faits. Elle préfère les slogans aux politiques publiques. Mais leur cynisme ne s’arrête pas là – si seulement.
Faire des prisons des lieux d’expulsion sociale : instaurer des frais d’incarcération
Sous prétexte de « responsabiliser les détenus », le deuxième texte de la niche propose de leur faire payer une contribution aux frais d’incarcération. On agite là encore la calculette : 50 000 euros par an et par personne détenue, quatre milliards d’euros au total. Parce qu’au fond, pour la droite brune, les détenus ne sont plus des justiciables. Ce sont des débiteurs. Parce qu’à force de tout voir en terme de coût on finit par croire que la prison est un service et que la punition doit se facturer.
La ficelle est énorme. Cette proposition est une humiliation institutionnalisée. Elle part du postulat que le détenu coûte, sans jamais poser la question de ce qu’il rapporte, ou pourrait rapporter, s’il était mieux accompagné, réinséré, soigné. Elle oublie que seuls 25 à 30 % des détenus travaillent, pour un revenu compris entre 25 et 45 % du SMIC. Elle oublie que ces revenus servent notamment à indemniser les parties civiles. Elle oublie surtout l’essentiel : les conditions d’incarcération sont indignes, illégales, et systématiquement dénoncées.
Faut-il le rappeler ? Trois détenus dans 9m², des matelas au sol, des rats dans les coursives, et la télévision facturée en sus. À ce stade, ce n’est plus une politique pénitentiaire, c’est du cynisme comptable. Comme le dit le communiqué de l’Observatoire International des Prisons (OIP) : « Combien vaut une nuitée dans les prisons françaises ? » Et surtout : qui peut oser demander à des détenus de « payer leur peine » quand l’État lui-même n’a pas payé la sienne : celle de garantir la dignité dans ses lieux d’enfermement ?
Cette niche UDR n’est pas seulement idéologiquement abjecte. Elle est techniquement grotesque. Elle s’appuie sur des postulats faux, elle ignore les jurisprudences constitutionnelles, elle contredit l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, elle nie toutes les données empiriques disponibles. Pire encore : elle amalgame autorité et brutalité, justice et vengeance, répression et punition. Elle fait de la prison un lieu d’expulsion sociale et morale définitive – tout l’inverse de ce qu’elle devrait être.
Normaliser la discrimination : restreindre le droit au mariage des étrangers en situation irrégulière
Et comme si ça ne suffisait pas, la troisième couche vient pour restreindre le droit au mariage des étrangers en situation irrégulière. Une liberté fondamentale. Une liberté constitutionnelle. Mais trop de liberté tue l’identité, semble dire l’UDR. Alors on mélange tout : mariages arrangés, mariages frauduleux, mariages « suspects ». Et on fait un texte pour rassurer les maires en campagne, au mépris des droits les plus élémentaires. Tout est déjà dans le droit : contrôles, enquêtes, saisines du procureur. Ce que la loi ne dit pas encore, c’est qu’un maire peut s’arroger le pouvoir d’empêcher une union parce que ça le dérange. Ce que le camp ciottiste veut, c’est institutionnaliser le soupçon, normaliser la discrimination, dresser l’état civil comme frontière politique.
Le plus grave, peut-être, c’est que ces propositions sont tenables, politiquement. Elles flattent l’opinion. Elles font du bruit. Elles dessinent un monde binaire : les bons d’un côté, les violents de l’autre. Mais ce monde n’existe pas. Et si nous laissons cette vision se substituer à la complexité du réel, alors nous aurons tué ce qui fait la force de notre droit : sa capacité à résister à la haine, même lorsqu’elle se dit légitime.