UNIVERSITÉ : CHRONIQUE D’UNE DESTRUCTION ORGANISÉE

Marc Pena

Table des matières

Les années se suivent et se ressemblent pour les Établissements d’Enseignement supérieur français dans le classement des Universités à l’échelle mondiale dit « de Shanghaï. » Pour 2025, comme 2024, comme 2023, comme 2019 (une sorte de « retour vers le futur »), les établissements hexagonaux ne sont que très peu représentés dans le top 100 de ce palmarès. Les règles en sont connues, souvent biaisées, mais le classement s’est imposé, au fil des années, comme une véritable référence. Biaisée ? Disons les choses franchement, sans pour autant « casser le thermomètre » : on ne tient compte dans ce « classement vitrine » que de la recherche, et encore dans ses aspects les plus « spectaculaires », peu ou pas de l’enseignement, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. Les « résultats » des sciences dures y sont sur-représentés, au détriment des sciences humaines et sociales, ce qui est un biais « idéologique » extrêmement préoccupant. Un prix Nobel ou une médaille Fields, et vous vous « envolez » immédiatement dans le classement. Or, et c’est bien le but de ce hit-parade, ce n’est pas de former un prix Nobel qui compte, mais de l’attirer dans ses filets, par son « attractivité ».

On ajoutera que l’effet mémoire joue à plein d’une année sur l’autre dans ce classement, puisqu’il est fondé sur la capitalisation des données. Il reste qu’on ne peut critiquer une compétition tout en voulant y participer. Et l’essentiel est là. Depuis plus d’une dizaine d’années, notre pays, comme « tous les pays qui comptent » (sic), ses élites universitaires, politiques, économiques, sont obnubilées par ce classement. C’est-à-dire que l’Université, la recherche, l’enseignement, sont conçus comme un univers de compétition, de concurrence acharnée. Pas d’émulation, de compétence, d’excellence, non plus que d’innovation et de liberté, mais entraînés dans les lois du marché, où règnent avant tout la loi de l’argent.

Que nos gouvernants aient pu, par exemple, inventer un système aussi aberrant et injuste que Parcoursup en dit long sur la misère intellectuelle et matérielle de l’Université française. En effet, avec Parcoursup, on a trouvé un « remède » simple au manque de places dans certaines filières universitaires : « allez voir ailleurs ! ». Alors que longtemps, l’affectation reposait sur une liberté de choix (même si, bien sûr, elle était relative) de l’étudiant bachelier concernant sa formation et son Université, aujourd’hui elle va dépendre de la réussite scolaire, et plus encore du milieu social de l’élève et du lieu où il a fait ses études. Nos gouvernants procèdent ainsi à un transfert de responsabilité politique particulièrement vicieux, faisant endosser aux enseignants-chercheurs, à leur corps défendant, la responsabilité d’un tri des étudiants en rupture avec l’un des principes fondateurs de leur conception de l’accès au savoir : l’égalité de traitement.

Et pendant ce temps-là, le chef de l’État lance en grande pompe, depuis la Sorbonne, son initiative « Choose Europe for Science ». Un appel à l’excellence européenne, des grands mots, des promesses de coopération, et un joli slogan. On aurait presque envie d’en sourire si l’on ne savait pas que, dans le même temps, les chercheurs français cumulent les contrats précaires, les enseignants multiplient les heures complémentaires pour faire tourner les TD, et que le CNRS lui-même voit ses dotations fondre année après année. Le syndicat SGEN-CFDT, peu suspect d’extrêmisme, a d’ailleurs résumé la situation en une formule devenue tristement exacte : « pas de résultats, que du bla-bla ». Et il faut les lire : ils décrivent parfaitement qu’en matière de science, Emmanuel Macron fait « du Trump amélioré ». C’est dire. L’État français clame haut et fort qu’il veut attirer les chercheurs du monde entier, mais il est incapable d’offrir des conditions de travail décentes à ceux qu’il forme lui-même. Des postes inexistants, des carrières sinistrées, des budgets d’équipe méridionaux. Alors oui, Choose Europe. Très bien. Mais avec qui, et pour quoi faire ? Et surtout : avec quels moyens, dans quels laboratoires, et au prix de quels renoncements ?

Car si l’on gratte le vernis de l’annonce, que reste-t-il ? Un chèque de 100 millions d’euros dans le cadre de France 2030, une promesse européenne de 500 millions répartis entre vingt-sept pays, et beaucoup de déclarations d’intention. L’Europe, nous dit-on, doit être un pôle scientifique mondial. Fort bien. Mais quel sens cela a-t-il si les chercheurs n’y trouvent ni stabilité, ni reconnaissance, ni même parfois les moyens de fonctionner ? Peut-on sérieusement revendiquer la liberté académique quand les universités françaises vivent sous perfusion ? Peut-on parler d’attractivité quand le premier défi de nos jeunes docteurs est de quitter la recherche pour pouvoir vivre ? Il y a dans ce décalage un cynisme assumé : celui qui consiste à afficher l’excellence pendant que l’on démantèle silencieusement ce qui en faisait la condition.

Les universitaires ne demandent pas des discours. Ils demandent des postes, des moyens, du temps. Du respect aussi. Et si l’on veut une Europe de la science, alors qu’on commence par traiter avec dignité ceux qui, chaque jour, la font vivre dans des amphithéâtres bondés, des laboratoires sous-dotés, des bibliothèques mal chauffées. Qu’on cesse d’organiser la compétition des misères et qu’on redonne de l’élan à ce que devrait être une politique scientifique : une politique de long terme, d’intelligence collective, d’exigence partagée.

Sinon, « Choose Europe » restera ce qu’il est aujourd’hui : un slogan de conférence, imprimé sur des tote bags, pendant que les chercheurs, eux, font leurs comptes en fin de mois.

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